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Le long-termisme va-t-il sauver le monde ?

Dernière mise à jour : 20 févr. 2023

Article rédigé par Pablo Maillé, et publié le 12 février 2023 dans Usbek & Rica

Courant philosophique particulièrement populaire dans la Silicon Valley, le long-termisme propose d’intégrer dans notre présent les « intérêts » des générations futures – y compris celles qui ne verront pas le jour avant des milliers d’années. Portrait-robot d’une nébuleuse qui, derrière ses bonnes intentions, dissimule une obsession pour la perpétuation de l’espèce humaine… quel qu’en soit le prix.

Dans son essai What We Owe the Future, publié en anglais à l’été 2022, le philosophe William MacAskill propose une étrange expérience de pensée. Il invite son lecteur à se mettre dans la peau d’un être transcendantal imaginaire, qui aurait la capacité de vivre la vie de chaque humain ayant jamais existé… ainsi que celle de chaque humain dont la vie n’a pas encore commencé. Comprendre : de l’acte de naissance de l’Homo sapiens jusqu’à son extinction. À cette échelle, « votre vie ne ferait alors que commencer », suggère MacAskill. Et pour cause : selon ses calculs, même si la population mondiale finit un jour par tomber à un dixième de sa taille actuelle, « 99,5 % de votre vie serait encore devant vous ». « À l’échelle d’une vie humaine typique, vous n’auriez dans le présent que quelques mois », métaphorise le philosophe écossais, âgé de 35 ans. D’où son appel « moral » à traiter les « intérêts » de ces êtres du futur « comme nous traitons les nôtres » – êtres du présent. « Aussi étrange que cela puisse paraître, nous sommes des anciens : nous vivons au tout début de l’Histoire, dans son passé le plus lointain, professe-t-il dans son texte, également décliné sur le site du New York Times sous forme de tribune. Ce que nous faisons maintenant affectera un nombre incalculable de personnes futures. [C’est pourquoi] nous devons agir avec sagesse. »


Strass, paillettes et embarras

En quelques lignes, William MacAskill vient de résumer - à sa manière - le cœur d’un mouvement de pensée encore relativement inconnu en France mais de plus en plus populaire outre-Atlantique et outre-Manche, dont il se veut l’un des porte-drapeaux : le long-termisme. Soit l’idée selon laquelle le « bien-être » des générations futures, y compris celles qui ne verront pas le jour avant des milliers d’années, devrait figurer en bonne place parmi les préoccupations de notre époque.

C’est en tout cas ainsi que MacAskill vulgarise son projet à chacune de ses interventions dans la presse anglophone, dégainant pour ce faire trois petites phrases aussi banales qu’efficaces : « Les gens du futur comptent [autant que nous]. Ils pourraient être très nombreux. Et nous pouvons rendre leurs vies meilleures. » Conférences universitaires, discussions sans fin sur les réseaux sociaux, tribunes et contre-tribunes… En quelques mois, la doctrine a acquis une popularité croissante, au point de commencer à faire l’objet de (timides) controverses dans l’Hexagone. En particulier depuis l’arrestation ultra-médiatisée de l’entrepreneur Sam Bankman-Fried, qui se réclamait ouvertement de cette philosophie avant la chute de son empire FTX et ses poursuites en justice pour détournements de fonds, en novembre 2022.


Influencé par l’altruisme efficace (voir l’encadré), la star déchue des cryptomonnaies, avait en effet pour habitude de verser des millions de dollars aux organisations qu’il considérait comme les plus « utiles » pour le long terme (Longview Philanthropy, Non-trivial Pursuits). Est-ce cette ambition philanthropique qui l’a conduit à escroquer ses clients ? Son procès, qui débutera en octobre prochain à New York, devrait permettre d’y voir un peu plus clair. D’ici-là, sur leurs forums de prédilection, la plupart des partisans du long-termisme prennent en tout cas leurs distances avec « SBF », accusé d’avoir trahi leurs idéaux. « Comme tout le monde, je me suis pris une véritable claque quand j’ai appris la nouvelle, décrit amèrement Antonin Broi, docteur en philosophie et membre de l’association Altruisme Efficace France. Non seulement Bankman-Fried n’a pas respecté nos impératifs moraux fondamentaux, comme le fait de ne jamais recourir à l’escroquerie, mais il a jeté le discrédit sur l’ensemble du mouvement. »


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